Alexandre III et l’industrialisation de la Russie
Si le tsar Alexandre III est connu pour avoir mis en œuvre un retour sans concession à l’autocratie (après que son père, Alexandre II, a été assassiné avant de pouvoir donner une constitution à la Russie), c’est aussi l’artisan volontariste (avec son ministre Witte) du décollage industriel du « Géant Russe ».
Ce décollage se fait avec l’appui technique et financier de l’étranger. A l’instar du Japon, ce sont des ingénieurs européens qui vont moderniser l’appareil productif russe : c’est ainsi que Siemens, par exemple, est appelé pour lancer une industrie électrique. Mais ce sont avant tout les capitaux européens qui vont permettre le décollage.
En effet, les investisseurs (allemands, belges, britanniques et surtout français) sont attirés à la fois par les belles promesses de rentabilité de la Russie et par la sécurité apportée par les garanties de l’Etat russe. La réforme monétaire de 1897 fixe les règles d’émission les plus sévères au monde (pour garantir la solidité du rouble). La Russie met également en place de fortes barrières protectionnistes (tarif Mendeleïev de 1891) et garantit les investisseurs contre la surproduction. Enfin, c’est l’autoritarisme du tsar qui rassure le plus les investisseurs : tout opposant est pourchassé, les grèves sont interdites. Ainsi, les ouvriers russes travaillent à la fin du siècle dans les mêmes conditions que les français en 1830…
Le plus grand succès de cette politique dirigiste est sans conteste l’essor du rail. C’est une priorité absolue pour le souverain, et ce pour trois raisons : permettre l’unification d’un territoire immense, profiter des effets d’entrainements engendrés par la demande en rails et répondre aux attentes des militaires français inquiets des délais de mobilisation de l’armée russe contre l’Allemagne wilhelmienne. Plus de 50 000km de voies ferrées ont ainsi été construits entre 1881 et 1913, la ligne la plus emblématique étant le Transsibérien (Moscou – Vladivostok, bâti entre 1892 et 1902).
Si l’on tente un bilan de la politique industrielle d’Alexandre III, il faut lui reconnaitre un évident succès : 8% de croissance industrielle annuelle, une production de charbon multipliée par 6, de fonte par 5… En quelques années, la Russie est devenue la cinquième puissance industrielle du monde, alors même que sa balance commerciale a été constamment positive et que son impressionnante croissance n’a été stoppée que par la révolution de 1917.
Mais cela n’a pu être possible qu’au prix de lourds sacrifices. Ayant financé son développement par l’emprunt, la Russie est fortement endettée auprès d’investisseurs étrangers (qui possèdent 54% de l’industrie russe à la veille de la guerre), même si le taux d’auto détention augmente sur la période. La croissance reste très concentrée sur le territoire (Moscou, Saint Pétersbourg et l’Ukraine) et le pays ne compte que 3 millions d’ouvriers en 1913 pour 170 millions d’habitants. La demande, moteur de la croissance, est fragile car entièrement entre les mains de l’Etat (tout essai de baisse des commandes se traduisant immédiatement par une crise industrielle) : le pouvoir d’achat de la population reste extrêmement faible. Enfin, les conditions de vie et de travail des ouvriers russes sont abominables : journées de 12 heures, absence de législation sociale, un salaire à parité de pouvoir d’achat égale deux fois inférieur à l’ouvrier non qualifié français.